La coïncidence est atrocement troublante entre d'un côté cet adulte handicapé à qui on refuse le renouvellement de son allocation et de l'autre cette augmentation de 17 % de l'indemnité attribuée aux conseillers régionaux. La comparaison est insupportable : 808 euros contre 2661!
Qu'il y ait dans les deux cas des explications sur les mécanismes qui aboutissent à ces résultats, qu'il existe des règles permettant d'éviter les abus en matière d'aides publiques, que les élus, bien que bénévoles, soient indemnisés pour compenser leurs dépenses et leurs manques à gagner et pour les mettre à l'abri des tentations, tout cela chacun peut le comprendre et on ne saurait le contester ici.
Mais enfin, quand on en arrive à ces extrémités, à ces abus, la raison déraisonne et le coeur s'insurge:
808 euros pour les handicapés
et 2661 pour les conseillers régionaux !
Mille questions interpellent le simple bon sens dont on retiendra les quatre plus simples:
- comment accepter qu'une réforme (la grande région) dite facteur d'économies publiques bénéficie d'abord à ses élus par le jeu d'un automatisme stupide. Pourquoi la simple augmentation de la population régionale justifie-t-elle que les élus nouveaux bénéficient d'une majoration de 17% par rapport à celle versée aux précédents? Vont-ils avoir plus de travail, vont-ils participer à davantage de réunions, vont-ils être plus efficaces et plus productifs que leurs prédécesseurs? La réforme est une aubaine ... pour ces élus y compris ceux qui la contestaient.
- la future nouvelle présidente est-elle si impuissante ou si peu avisée qu'elle ne puisse pas se libérer d'une fausse automaticité réglementaire? l'augmentation des indemnités permise par l'accroissement de population n'est pas obligatoire, l'assemblée peut moduler le taux applicable au barème, la présidente peut lui proposer de le modérer de 20% et ainsi de revenir un peu au-dessous de l'indemnité précédente ... ce serait un minimum. Et pourquoi ne pas affecter la différence à des actions sociales en faveur des handicapés? Chiche, Madame la présidente : vous avez là l'opportunité de restaurer l'image du parti. Les élus PS de Saint-Cyprien vont-ils oser passer le message au député Cresta? et celui-ci va-t-il oser le suggérer à la présidente qui l'a écarté de la vice-présidence?
- est-il nécessaire de verser automatiquement à tous les élus de base un salaire mensuel de 2 661 euros? Que les conseillers investis d'une responsabilité de gestion perçoivent eux près de 3000 euros pour les membres de la commission dite permanente et plus de 3700 pour les vice-présidents, passe encore (il faut les mettre à l'abri). Mais la "charge" d'un simple conseiller participant (plus ou moins activement) aux réunions d'assemblée et de commissions justifie-t-elle une indemnité égale à ce que perçoit un professeur agrégé du 5ème échelon (soit après au moins 6 à 7 ans d'ancienneté). Un prof agrégé, soit bac + 6 ou 7, lauréat d'un concours très sélectif et titulaire d'un casier judiciaire vierge, débute à 2000 euros. Le conseiller régional, parce qu'il a été désigné par son parti et oint collectivement par le suffrage dit universel, sans autre exigence universitaire ou judiciaire, et sans la moindre contrainte de service fait (à 35 heures par semaine) a droit immédiatement à 30 % de mieux.
- est-il par exemple compréhensible, démocratiquement utile, économiquement et socialement correct que le maire d'une ville de plus de 10 000 habitants, vice-président de l'agglomération de Perpignan et à ce titre doublement indemnisé, émarge encore aux indemnités du conseil régional où il a été élu (très minoritaire) mais battu dans sa propre commune? S'il est indeminisé deux fois pour le temps qu'il consacre à la chose publique, le temps qu'il consacrera à la région ne viendra-t-il pas en déduction de ces deux temps pleins? Sans doute, le dépit ou le bon sens l'inciteront-ils à la magnanimité donc à reverser aussi cette indemnité superfétatoire à l'association des handicapés ... ou, mutatis mutandis, aux bonnes oeuvres de son parti qui en a tant besoin.
D'un côté de la vie, des hommes et des femmes assujettis aux aléas du système d'aide : bien sûr, objectera-t-on, il y a là aussi des effets d'aubaine, il y a des profiteurs, des cumulards, des resquilleurs et il faut y veiller ... mais il y a les autres, nombreux, qui ne votent pas, "sans dents" peut-être et sans travail, et dépendants de tout, du hasard, des événènements et finalement de la fraternité, pour parler noblement, ou de la sollicitude de la collectivité publique, pour rester concret.
De l'autre côté, les professionnels de la collectivité publique précisément dont le destin tient au départ au hasard du scrutin et au système oligarchique qui préside à ce hasard puis qui s'installent confortablement dans l'entre-soi du microcosme politique.
Entre les deux mondes, volettent des mots nobles et sonores tels que "EGALITE" ou "FRATERNITE" qui après avoir claqué dans les discours et les professions de foi retombent dans la corbeille à papier de la démocratie.
A dire vrai, en cette transition festive entre 2015, qui a vu la France frémir de peur et d'horreur, puis s'émerveiller à pavoiser ses fenêtres de tricolore, et la nouvelle année lourde d'incertitudes, on se surprend en lisant notre si conformiste journal régional, on se surprend à comprendre ceux qui ne comprennent pas tout ça et qui brandissent un autre drapeau, noir ou rouge ... et on s'attriste pour les élus et on craint pour les handicapés. On s'attriste et on craint pour la France.