La coïncidence ne peut pas être fortuite entre la publication dans le MONDE du message de l’Église de France et l'édito de Christian Barbier dans l'Express sous le titre "le viatique de la fraternité". Le temps impose son actualité de vécus, d'attitudes et de réflexions;
Quoi qu'on en pense, qu'on s'en réjouisse, qu'on s'en offusque ou qu'on s'en moque, la religion, les religions et plus encore la religiosité sont à l'ordre du jour. Et cela contrairement à l'étymologie du mot qui se fonde sur l'union, la vocation à "relier", la religion tend aujourd'hui à devenir une source de méfiance vis à vis des autres fois ou des mécréants, puis un rejet réciproque et donc de divisions hostiles de notre société.
Et cependant FRATERNITÉ est la 3ème valeur de notre devise nationale. Elle est tout à la fois la plus chaleureuse, la plus conviviale des trois mais aussi la dernière et la moins valorisée de ce triptyque républicain. La République s'est construite dans la bataille pour la liberté et pour l'égalité, deux valeurs certes fondamentales pour la construction d'une nation homogène et équilibrée. La Fraternité n'exalte pas les discours électoraux, Ségolène Royal exceptée. Son apport semble sans doute naïf, puéril, aux politiques et intellectuels qui glosent sur l'Etat, la République, la démocratie.
Mais autant Liberté et Égalité s'inspirent en grande partie d'une revendication individuelle des faibles et des dépendants, relayée il est vrai par quelques grandes voix humanistes, autant la Fraternité impacte le sentiment et le sentiment collectif, celui qui crée et conforte la convivialité nationale, le plaisir (et l'utilité) de vivre ensemble, en harmonie et en respect mutuel. Mais non seulement le concept lui-même reste occulte, sauf sur les façades publiques, mais il s'émiette, se dissout, s'éclate en "fraternités" étroites, communautaires, séparées, inspirées parfois par des fois diverses ou des positionnements de pensées élitistes. L'édito de l’Express le traduit bien:
"La fraternité, en revanche, régresse, sous la double menace du communautarisme et de l'égoïsme, d'un côté le prosélytisme islamique réserve l'appellation" mon frère" ou "ma sœur" aux membres de la communauté musulmane, quand ces vocables en religion chrétienne désignent des professionnels du culte, moines ou religieux. D'apparence anecdotique, cet usage vise à arracher la fraternité à la sphère familiale et à l’emprisonner dans la religion, communauté exclusive et supérieure à la nation. En s'appelant "frères" les francs-maçons qui ont allumé les lumières voulaient en éclairer le peuple entier, non la réserver aux initiés. Si la Fraternité n'est plus aux frontons de la République mais cloitrée dans la foi, la France sera bientôt divisée entre groupes religieux et identitaires qui l'embraseront sans cesse par leurs affrontements. D'autant que de l'autre côté l'indifférence économique et sociale ronge l’esprit de solidarité. Aumônes, dons, impôts: les Français paient toujours mais ils compatissent moins; ils demeurent généreux, ils sont moins fraternels.
Sans la fraternité, l'égalité diminue; or dans une société inégalitaire, les classes sociales deviennent des ghettos et la liberté s'amoindrit puisque l'homme n'est plus qu'un loup pour l'homme."
La France renie maintenant le communautarisme social qui a sévi il y a quelques années; il faut désormais qu'elle défasse ce communautarisme de fraternités séparées, souvent méprisantes entre elles. La fraternité française, au delà de l'identité heureuse et de la paix sociale, c'est le sentiment partagé et la fierté commune d'appartenir à la même famille, la patrie, d'avoir fréquenté (pour la plupart) les mêmes écoles, les mêmes stades, les mêmes concerts, d'avoir chanté ensemble "allons enfants de la patrie" lors des deuils nationaux ou des fêtes sportives. La patrie ne se bâtit pas dans les luttes contre les autres, les étrangers, les mécréants, elle se défend si nécessaire mais elle ne s'y grandit pas.
La FRATERNITÉ nationale est, comme la patrie, une et indivisible.
Tant pis si de mauvais esprits ironisent sur la naïveté, nostalgique ou utopique, de ces propos. pour moi ils sont plus que jamais d'actualité et d'importance. La simplicité des mots, et leur empathie, n'en desservent pas le sens. Je les fais miens et suggère simplement aux esprits ouverts d'y réfléchir, sans a priori.
Jean JOUANDET