Acte 1 : l’attente.
Mardi 15 novembre, 19h : le public est nombreux et a pris place dans la salle du conseil municipal. Seuls, trois élus d’opposition sont assis à leur table : Claudette Guiraud, Pierre Rossignol, Jean-Claude Montès. Ils attendent l’arrivée des élus de la majorité.
19h15 : la majorité arrive enfin, à la queue leu leu, maire en tête, et s’installe.
Commentaire : 15 mn de retard ! Des mises au point, certainement…
Acte 2 : l’annonce.
A peine installé, le maire appelle le silence dans la salle, bien garnie pour honorer la disparition de Jean Jouandet. Il se souvient, ce public, que la dernière participation de Jean Jouandet au Conseil municipal avait été sanctionnée par une gifle. Le maire s’en souvient aussi. Apparemment tendu, il annonce immédiatement « qu’en raison d’un décès d’un membre du conseil, le conseil municipal n’aura pas lieu et qu’il est donc reporté ». Du jamais vu. Et, puisque du monde s’est déplacé, « les membres de la majorité se sont concertés et ont décidé d’observer une minute de silence ». Aussitôt dit, et sur un signe du maire, la majorité se lève : il s’agit bien sûr de mettre l’assistance devant le fait accompli et de couper court à toute tentative de prise de parole.
Commentaire : le report du conseil semble être présenté comme un hommage supplémentaire rendu au disparu qui n’a même pas été nommé. Le coup est bas. Colère chez les 3 élus minoritaires (NB. les élus de l’opposition dite constructive étant absents…) Malaise dans la salle qui manifeste à voix haute. Décidément, la ficelle est trop grosse, le coup de bluff trop évident : le maire cherche à prendre la main et provoquer un esclandre pour ne pas entendre l’hommage que ses amis veulent rendre à Jean Jouandet. Il parle d’une « concertation » au sommet pour décider de cette minute de silence, concédée donc du bout des lèvres. Quant à l’annulation du conseil municipal, elle vise simplement à faire évacuer la salle après ce pauvre stratagème de minute de silence. Jean Jouandet vaut tellement plus que cette petite bassesse !
Acte 3 : la passe d’armes.
Jean-Claude Montès proteste et demande la parole qui lui est à nouveau refusée. Il tente d’expliquer au maire qu’il tient absolument à rendre hommage lui-même et publiquement, à Jean Jouandet ; que la famille s’oppose à un unanimisme factice mais souhaite un hommage avec les mots d’un ami et que cet hommage, qui se doit d’être digne, dispensera de la traditionnelle minute de silence.
Face à l’autoritarisme du maire qui ne veut pas en démordre, le ton monte et les mises en cause deviennent plus précises :
- quel crédit accorder à une enfilade d’élus aux visages fermés qui ont dû « se concerter » pour décider … d’une simple minute de silence ?
- quelle sincérité accorder à ceux qui depuis 8 ans n’ont de cesse de ricaner, de se moquer, d’insulter ?
- quelle valeur accorder à ce « service minimum» qui ne cherche qu’à éviter une prise de parole ?
- le maire se sent-il légitime pour rendre hommage à Jean Jouandet ?
- doit-on rappeler que Jean Jouandet a été frappé dans ces lieux mêmes où le calcul politicien veut faire mine de l’honorer…?
Le public gronde. Le maire tente d’imposer le silence. Il veut sa minute puis il se retirera avec ses troupes, dit-il, et laissera l’opposition faire son discours !
Les protestations des élus minoritaires et le brouhaha ambiant l’en empêcheront : la majorité captive se retire alors, à la queue leu leu, à la suite du maire.
Commentaire : tout cela est bien « petit ». Satisfaite sans doute du montage de cette opération, l’indécente farandole municipale croit ainsi donner une dernière gifle collective à celui qu’elle craignait tant. En fait, elle n’a réussi en tout et pour tout qu’à confirmer encore une fois l’état catastrophique de la gouvernance à Saint-Cyprien.
Acte 4 : l’hommage.
Le plus gros du public se réunit alors à la demande de Jean-Claude Montès au centre de la salle du Conseil, face aux 3 élus restants…Les visages sont tendus et graves. Dans un silence recueilli et respectueux, l’élu lit alors l’hommage à Jean Jouandet tel qu’ont refusé de l’entendre Thierry Del Poso et ses fidèles.
« Jean Jouandet nous a quittés lundi 14 novembre, au petit matin …
Je mesure pleinement ce que l’homme laisse derrière lui de chagrins et de regrets; auprès de ses proches évidemment, de sa femme, de ses enfants, de ses amis; mais aussi auprès de ses compagnons de route, de ceux pour lesquels il a représenté jusqu’aux derniers instants la compétence, la droiture et la rigueur et auxquels il témoignait une amitié pudique. Auprès de ceux enfin qui, sans le connaître vraiment le lisaient et cheminaient avec lui en territoire d’intelligence et d’espérance. Je mesure pleinement le poids de cette nouvelle ; j’en mesure tout autant les conséquences locales.
Mais ce que je souhaite avant tout par ces quelques mots, c’est remettre l’homme dans sa vérité, du moins celle que j’ai perçue moi-même durant ces 8 dernières années qui nous ont rapprochés d’amitié, et lui rendre hommage en cette salle municipale, même s’il est vrai qu’il lui importait peu de séduire ceux qui ne voyaient pas, derrière les apparences, celui qu’il était réellement.
Car Jean Jouandet ne laissait personne indifférent. Accessible à la contradiction pourvu qu’elle fût examinée et discutée, il considérait comme un entêtement stérile ou, pire, comme une motivation malhonnête ou cynique, l’absence d’arguments et la mauvaise foi manifeste. La moralité publique était à ce titre son combat qu’il étayait d’analyses et de commentaires étoffés, percutants et libérateurs. C’est que ce serviteur de l’État, homme de conviction républicaine, était également un fin lettré qui connaissait le poids des mots.
Peu sensible au « qu’en dira-t-on », il cheminait avec détermination et constance dans ses engagements. Saint-Cyprien lui en fournit quelques-uns à l’âge où d’autres, indifférents ou résignés, sont revenus de tout.
C’est cela je crois qui, comme d’autres, m’a attiré dès l’abord chez ce haut fonctionnaire riche d’expériences professionnelles : un mélange de désillusions, assumées par pragmatisme et lucidité, mais une exigence toujours intacte pour l’intérêt général et une solide foi « chevillée et raisonnée » dans les valeurs de la République. Il se voulait citoyen engagé et refusait toute attitude compromettante ou politicienne; et cette démarche nous paraissait à nous tous qui étions à ses côtés, une alternative à un système déconsidéré dont on voit combien il craque partout. Ces temps nouveaux auxquels il aspirait viendront sans doute; en tout cas, ils s’annoncent et il ne tient qu’à nous qu’ils ne soient pas dévoyés …
Dans certaines occasions, trop nombreuses à son goût, l’authenticité de son combat allait jusqu’à de fortes indignations. Ceux qu’il houspillait par le verbe se récriaient alors, trop heureux de faire bloc en prenant pour du simple mépris à leur encontre, la rudesse de langage que leurs actes méritaient. Déconsidérer l’homme pour ne pas avoir à rendre des comptes, voilà malheureusement un standard de la vie dite « politique ». Jean Jouandet n’y a pas échappé, lui qui nous quitte, le cœur et le visage marqués par un geste indigne.
Sa disparition elle aussi retentit comme une claque ! Une claque à la vie bien sûr à laquelle il a tiré sa révérence, avec grand courage car il plaçait la dignité dans la lutte plus que dans l’issue du combat. Je veux donc dire ici, dans notre maison à tous, «maison commune » parce que républicaine, notre reconnaissance pour son action à Saint-Cyprien; et je me fais l’interprète, au-delà de leur tristesse, de tous ceux à qui il manque déjà. »
Commentaire : Beaucoup d’émotion bien sûr, après l’expression de la colère, provoquée avec l’intention de blesser encore une dernière fois.
Nous confirmons ici à la famille que ce moment-là fut authentique et que l’hommage fut sincère et digne...
Jean Jouandet aurait sans aucun doute apprécié de retrouver ainsi autour de lui la chaleur de l’amitié, dans cette salle du conseil où on lui témoigna si peu de respect.
Une gifle fut donc donnée. Mais morale celle-là. Et c’est le maire qui la reçut. L’a-t-il seulement sentie ?
Jean-Claude MONTES