Voici, parce qu'il apporte quelques informations et qu'il invite à une réflexion raisonnable sur la démocratie et le rôle des élus, le discours prononcé par la Président d'Anticor lors d'un colloque à Aix en Provence les 6 et 7 septembre 2013
Intervention de Jean-Pierre Guis, président d’Anticor
« Je vais utiliser à plusieurs reprises un mot grossier, un mot tabou : c’est le mot « élu ». Ainsi, certains à cette tribune ont opposé le mot « citoyen » au mot « élu », comme s’il s’agissait de 2 entités différentes, comme si moi qui suis élu, par exemple, je n’étais pas un citoyen. Certains proposent même de les supprimer, ces élus…
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Parallèlement, comme partout dans le monde où la démocratie est en crise, et en dépit de nos efforts, l’image des élus s’est considérablement dégradée.
1977 : 37% des Français jugeaient que leurs élus étaient « plutôt corrompus »
2002 : 64% des Français jugeaient que leurs élus étaient « plutôt corrompus »
2011 : nous en sommes à 72% selon le CEVIPOF (voire 77%, chiffre donné hier par un des chercheurs intervenants)
Nos concitoyens n’accordent plus beaucoup de crédit à la parole des élus, à leurs projets, à leurs engagements. Comme si le discours politique n’était qu’une succession de mensonges. Prenons l’expression « langue de bois », cette façon de parler, cohérente mais creuse et insincère si ce n’est mensongère, qui est souvent attribuée aux élus. Cette « langue de bois » subtile, capable de démontrer une chose et son contraire, qui ne craint pas les contradictions internes, qu’est-ce donc si ce n’est une forme moderne de la sophistique des Anciens ?
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Mais qu’est-ce qu’un « élu » ? Quel est le sens de ce mot ? Comment définir ces personnes qui, lorsqu’elles manquent à la probité, ont le pouvoir de mettre en péril notre démocratie ?
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Selon le dictionnaire de l’Académie Française, l’élu c’est celui qui est « nommé à une dignité, à une fonction, à une place par la voie des suffrages. » Place, fonction mais aussi dignité – ce même dictionnaire donne d’ailleurs l’exemple suivant : « élire le plus digne ».
Mais dans notre langue, l’élu est également celui qui est choisi par Dieu, celui qui est destiné à la vie éternelle. « Ceux que Dieu a élus jouiront de la béatitude éternelle. » Permettez-moi d’apporter un témoignage personnel : être élu (du peuple) ce n’est pas toujours une béatitude totale…
3ème sens de ce mot, selon le Robert : – Personne que le cœur choisit « Il va se marier. – Quelle est l’heureuse élue ?
Plus sérieusement : c’est la langue qui dicte le sens,... Un élu est donc quelqu’un de digne, qui a été nommé dans ses fonctions par la voie des suffrages, et qui a été choisi, élu, par le Dieu de la démocratie, c’est-à-dire par « le cœur » des citoyens (« l’élu de mon cœur »).
C’est ce sens-là, c’est cette image positive et même flatteuse, que la corruption et la délinquance financière de certains viennent abimer, mettant en péril l’avenir-même de notre démocratie. D’une certaine façon, la mission que s’est fixée Anticor est de redorer le blason terni des élus, c’est de lutter contre cette assertion terrifiante : « les élus sont tous pourris ». Cette assertion est terrible car l’élu est le re-présentant du citoyen, il est « présent » quand le citoyen est absent (car tous les citoyens, cela tombe sous le sens, ne peuvent pas être présents lorsqu’une décision se prend), l’élu est d’une certaine façon le reflet, l’image du citoyen. Si mon élu est « pourri », si celui que j’ai « choisi avec mon cœur » est corrompu, si celui qui tient sa dignité du Dieu (en l’occurrence de l’institution démocratique), si cet élu est ainsi, cela veut dire que moi, le citoyen, je suis également pourri et corrompu. Ce qui rend encore plus insupportables, pour nos concitoyens, les manquements des élus à la probité. Insupportables, et dangereux. Car si le peuple perd sa confiance dans ses élus, et plus largement dans ce que l’on appelle les corps intermédiaires, s’il les nie, cela revient à créer les conditions d’un face à face sans médiation et sans recul : nous avons alors un face à face direct entre chacun des citoyens (chacun des citoyens atomisés) et le tyran. Cela s’appelle le fascisme.
à suivre