Le 27 février, nous vous avions rendu compte des habiletés déployées par le Tribunal administratif pour ne pas sanctionner immédiatement l'irrégularité du Conseil de communauté de Sud-Roussillon qu'il ne pouvait ignorer : le président, statuant en référé, avait suscité la rédaction en urgence d'un arrêté préfectoral destiné à valider cette composition irrégulière. Nous avions écrit que le TA mobilisait le SAMU préfectoral pour sauver Sud-Roussillon. Hélas! le SAMU a été très mauvais : le Préfet a pris un arrêté le 21 février qui non seulement ne traite pas le mal mais l'aggrave.
En résumé : le 9 janvier 2013, le conseil de communauté de Sud-Roussillon s'est installé suite à son élargissement géographique validé par le Préfet (en fin décembre 2012). Comme le Préfet avait omis de modifier en conséquence les statuts et notamment de fixer la nouvelle composition du conseil, c'est le conseil lui-même qui en a décidé : il a porté son effectif à 52 membres et surtout, c'est là le vice majeur, il a réduit la représentation relative de Saint-Cyprien car il n'a pas respecté la règle statutaire de la proportionnalité. Le statut impose que le nombre de délégués de chaque commune membre soit attribué au pro-rata de la population, nul ne le conteste : or le 9 janvier 2013, notre commune qui a toujours plus de la moitié de la population passait de 49, 90 % des sièges à 38 %.
Alerté du risque par le TA, le jour de l'audience (20 février), le préfet a donc pris le 21 février 2013 un arrêté fixant à 52 le nombre total de délégués (nombre décidé de son propre chef par Sud-Roussillon) mais il a approuvé la répartition entre les communes sans se soucier du principe de proportionnalité que cependant il maintenait dans les statuts. Le traitement d'urgence était malheureusement inapproprié, comme l'écrit le TA il n'était pas "topique":
- D'une part cet arrêté ne pouvait pas valider de façon rétroactive une délibération intervenue plus d'un mois auparavant;
- d'autre part il ne devait pas enfreindre les statuts de la communauté (résultant eux-mêmes d'un arrêté préfectoral ... respectable);
- enfin il n'aurait pas dû ignorer la modification légale intervenue le 31 décembre 2012 qui plafonne, en fonction de la population, l'effectif total du conseil à 30 au lieu de 52.
Trois illégalités dans un arrêté préfectoral destiné à régulariser les travers de la gestion locale, c'était vraiment trop ... même en cette enclave locale où la démocratie est bannie et la légalité bafouée impunément. Nous ne pouvions pas l'accepter sans réagir.
L'occasion de réagir s'est présentée bien vite avec le vote (le 26 mars et le 10 avril) des décisions financières annuelles (comptes, budgets, taux d'impôts et de redevances, etc ... ). Nous avons donc demandé au TA d'examiner ces délibérations financières importantes à la lumière des critiques (ci-dessus) qu'appelle l'arrêté préfectoral (c'est ce que les juristes disent "invoquer l'exception d'illégalité"). Et simultanément nous avons demandé que soient suspendues ces délibérations prises par un organe dont la composition est indiscutablement illégale.
Que croyez-vous qu'il arrivât? Une audience, le 5 juin, où la défense de Sud-Roussillon n'était assurée que par une avocate de Montpellier (le directeur général, présent en février, avait cette fois préféré s'abstenir et le Préfet qui avait jugé bon d'intervenir par écrit n'était pas représenté). Laquelle avocate ne pouvait user comme d'habitude que de l'argument subjectif tenant à notre esprit querelleur, elle dit "quérulence", et de l'argument d'opportunité tenant à la gravité des conséquences. Bref, chacun s'accordait, à sa façon, pour admettre que le mal était grave, très grave. Et le Président, "embarrassé" (de son aveu même), s'effrayait d'avoir à conclure selon la logique juridique inexorable qui imposait la suspension immédiate, en attendant l'inévitable annulation future.
Que croyez-vous qu'il fit? Il alerta encore une fois le SAMU, par l'entremise de l'avocate, et lui donna 24 heures pour, encore une fois, produire une note en délibéré qui permette d'éviter la sanction normale.
Et le Samu qui à défaut d'avoir été performant en février fut de nouveau véloce: il est intervenu en quatrième vitesse. Le Président précise dans son jugement qu'il a renvoyé la clôture de l'instruction au 6 juin 2013 à 19 heures (les heures d'ouverture affichées sur le site du TA sont 13 h 30 / 17 heures !) et il constate aussitôt que le greffe a précisément enregistré une note en délibéré du préfet, transmise par télécopie le 6 juin 2013 à 19 heures. La télécopie, on allait écrire télépathie, fait des miracles. On ignore la teneur de cette note mais elle doit être miraculeuse car dès le lendemain l'embarras du président était dissipé et (ouf!) il avait trouvé un prétexte pour ne pas suspendre en urgence les délibérations illégales.
Miracle apparent, rémission fragile, ou acharnement thérapeutique? Le Président, qui finalement absout (considérant 10), avoue cependant (considérant 5) qu'il a un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées mais il anticipe sur la correction promise par le Préfet (considérant 9). Bref suivant le Préfet qui plaidait dans son mémoire écrit la tolérance pour "une étape transitoire" le Tribunal se résigne à admettre le principe d'une illégalité temporaire. On parlait des zones de non-droit, voici venu le temps du non-droit.
Le renvoi en "soins palliatifs" ainsi décidé aujourd'hui en arrêtant la pendule signe la condamnation de la légalité à Saint-Cyprien par ceux qui l'ont en charge, le Préfet et le Tribunal administratif.
Viendra un jour (du moins on l'espère encore en notre République) où il faudra bien que le juge se prononce en droit strict sur le fond, c'est à dire sur la légalité de ces votes budgétaires (intervenus en mars et en avril 2013 avant la "correction" préfectorale) par une assemblée irrégulièrement constituée.
Le jugement est publié dans la rubrique "justice -suite - 2". Nous en reprendrons l'analyse plus en détails quand vous l'aurez lu et déjà commenté ci-dessous