A la suite des annulations prononcées par le Tribunal administratif, annulation de la nomination de la 1ère directrice (Mme Targues) puis du directeur (M. Humpage) et même de la présidente (Mme Pineau) on peut légitimement se poser la question : quelles sont les conséquences concrètes de ces annulations sur les décisions qui ont été prises par ces responsables déclarés ensuite incompétents car mal nommés ou mal élus. Les actes qu’ils ont pris, les dépenses qu’ils ont faites, les recrutements qu’ils ont décidés ont-ils quelque validité puisqu’ils n’avaient pas le pouvoir d’en décider ? Ces décisions sont-elles nulles de droit, sont-elles annulables, la situation doit-elle être corrigée et faut-il revenir à l’état antérieur à ces nominations et élection annulées ? Par exemple, le licenciement de Patrice Bertrand et le versement de son indemnité sont-ils considérés comme valables ou invalidés par ce vice originel ?
La réponse est dans la théorie des fonctionnaires de fait. C'est une théorie de droit administratif, élaborée au siècle dernier pour régler en particulier les problèmes de gestion en temps de guerre. Cette théorie a pour finalité d’atténuer les conséquences dommageables de l'incompétence légale d'un fonctionnaire. Car en bonne logique la réponse aux questions posées ci-dessus est évidente : une personne non investie ou non régulièrement investie est légalement incompétente : tous ses actes qui ont été pris sur le fondement de son acte de nomination (supposé ou irrégulier) devraient en conséquence être réputés nuls également. Mais les conséquences de ces annulations peuvent être extrêmement graves si la fonction a été exercée pendant une longue durée. La théorie des fonctionnaires de fait a été élaborée dans un souci pragmatique, celui de la sécurité juridique. Elle est faite pour éviter le vide juridique que provoqueraient toutes ces annulations et l’impossibilité dans bien des cas de rétablir l’ordre antérieur. Elle a ainsi affirmé dans plusieurs arrêts : « le fonctionnaire irrégulièrement nommé aux fonctions qu'il occupe doit être regardé comme investi desdites fonctions tant que sa nomination n'a pas été annulée ». C'est-à-dire que les actes passés par le fonctionnaire avant l'annulation sont réputés valides.
Le but de la théorie est donc la nécessité d'assurer le fonctionnement régulier des services publics, de préserver la sécurité juridique des actes administratifs et la stabilité des situations juridiques :
- Le premier fondement est celui de l'apparence. Le juge administratif a ainsi admis la théorie des fonctionnaires de fait quand le public a raisonnablement ignoré l'irrégularité de l'investiture. Cela a également été le cas lors d'une délégation de compétence irrégulière, d'une nomination ou d'une élection illégale ou encore d'un maintien irrégulier après la retraite de l'agent.
- Le second fondement est celui de la nécessité de la continuité du fonctionnement des services publics, notamment en application de la théorie des circonstances exceptionnelles. Cela peut être le cas lorsque les autorités légales ont disparu, suite à une guerre ou à une insurrection. Il faut s’accommoder de remplaçants de circonstance et d’opportunité
Cette théorie s'applique de manière large à tous les agents administratifs et aux élus, tant dans les collectivités publiques et l’Etat que dans les entreprises publiques. Evidemment elle trouve un vaste champ d’application dans la sphère de non-droit qu’est l’Etablissement public industriel et commercial « office de tourisme de Saint-Cyprien ». On peut même dire que grâce à cette théorie séculaire l’EPIC a vécu une gestion de fait depuis novembre 2009 à février 2012. Et quand on dit février 2012 c’est par référence à la 3 ème nomination de M. Humpage, qui clôt provisoirement l’état de fait mais, compte tenu du contentieux réengagé et qui aboutira en 2013, cette date ouvre une nouvelle période provisoirement valide mais susceptible d’entrer rétroactivement en gestion de fait quand le TA annulera une 3 ème fois cette nomination.
On peut s’interroger sur la cohérence de cette théorie avec la situation locale. Les deux arguments de la théorie, l’apparence et la nécessité, sont ici et maintenant bien fragilisés. L’apparence de légitimité des Targues, Humpage, Pineau, n’existait que pour leurs amis qui les avaient mis en place. Et reste-t-il aujourd’hui une apparence pour ce directeur-ter qui accumule les camouflets judiciaires tant au TA qu’au Tribunal de Perpignan ? Quand à la nécessité qui se justifie pour les périodes troublées, on peut en douter (malgré la guérilla engagée par les terroristes) : la situation environnante n’interdit pas d’avoir un fonctionnement légal des institutions, nos voisins en font tranquillement la preuve. Sauf à décréter que la paix est abolie à Saint-Cyprien, comme la démocratie l’a été et que dans cette adversité locale le fait se substitue au droit.
En droit pénal, les "mis en examen" bénéficient de la présomption d’innocence. En droit administratif, par la grâce de la théorie des fonctionnaires de fait, l’EPIC « office du tourisme » bénéficie de la « présomption d’’administrativité » Peut-on survivre indéfiniment en état de présomption ?
Et surtout ne demandez pas ce qui se passe quand un fonctionnaire de fait est mis en examen, c'est-à-dire quand il y a cumul des deux présomptions, la présomption d'administrativité et la présomption d'innocence ... il n'y a peut-être pas encore de jurisprudence en France.