Face à l’horreur, le slogan " Je suis Charlie " est devenu l’étendard de la liberté et de la résistance à l’obscurantisme. Au lendemain du massacre de mercredi, la symbolique liée à la presse a imposé son explication simple, sa force d'indignation et sa volonté de survivre. L'émotion collective s'est focalisée sur ces 3 mots existentiels : le moi, la vie, les autres. A sa mesure et à sa manière Pugnace a participé à ce rassemblement et ne le renie pas.
Aujourd'hui les Charlie se sont multipliés, ils discourent, pleurent et défilent avec pancartes, drapeaux et hymne national. Et les anti-Charlie de s'interroger sur le sens de ce salmigondis politique autour d'une interprétation univoque d'un drame qui leur paraît irréductible à une caricature et de douter de l'avenir de ces convivialités plus ou moins hypocrites et à coup sûr éphémères.
Ils disent : gare au méli, mélo ... gare au Charlie, Charlot.
Car depuis le 7 janvier les choses ont évolué et la réalité s'est complexifiée, les évènements se sont alourdis, le slogan fusionnel risque désormais d'abuser et d'être instrumentalisé. Charlie n'est pas seul dans le drame. Il n'est plus le symbole exclusif de la folie meutrière du terrorisme, s'il l'a jamais été. Les cibles, institutionnelles et humaines, sont multiples et diverses. L'unanimisme apparent du slogan ne répond plus à la réalité multiforme des faits ni à l'authenticité des divers porteurs de pancartes ralliés au mouvement collectif.
LUZ lui-même, dessinateur emblématique de l’hebdo, s'interroge sur le sens conféré à ce massacre : il minimise le poids emblématique de Charlie, il supporte mal la récupération du meurtre de ses confrères caricaturistes. " Aujourd’hui, écrit-il, on a l’impression que Charlie est tombé pour la liberté d’expression. Nos copains sont juste morts" et il met en garde " Les gens s’expriment comme ils veulent mais il ne faut pas que la République ressemble à une pleureuse de la Corée du Nord. Ce serait dommage."
Son interview dans "les inrocks" mérite d'être lu : cliquez ici ....LUZ
Aujourd'hui la célébrité des dessinateurs, que certains pleurent sans les avoir aimés, n'occulte plus les noms des victimes collatérales - telles le modeste agent de maintenance qui fut la 1ère victime des forcenés simplement parce qu'il était là pour travailler - ou des fonctionnaires de police, police d'Etat ou municipale, qui, hommes ou femme, blanc, noir ou basané, catholique, musulman ou agnostique sont morts en service, car ils étaient là pour protéger les autres.
Aujourd'hui la brutalité du choc Charlie prend aussi un autre sens après la prise d'otages dans l'hyper casher: 4 civils tués parce qu'ils étaient juifs. Ils n'ont pas été tués parce qu'ils étaient Charlie ou policiers, mais parce qu'ils n'étaient qu'eux-mêmes, faisant leurs achats de shabbat dans un magasin casher : c'était trop pour les fous d'Allah, ils n'avaient pas le droit de vivre, à leurs yeux leur seule existence en tant que juifs offensait Allah autant que les blasphèmes de Charlie.
Aujourd'hui, les Français ne peuvent plus être Charlie, ils sont aussi et plus encore Frédéric (l'agent de maintenance mort pour rien), Ahmed (ce policier musulman odieusement achevé sur le trottoir parisien) ou Yohav (l'étudiant de 22 ans tué à Vincennes).
Plus question de se replier dans le larmoiement indigné des amis posthumes de Charlie ou d'applaudir à la récupération personnelle (sur grand écran) et verbalement grandiloquente de la France, de la République et de la liberté de la presse par tel ou tel qui, tout en enfreignant quotidiennement la loi de la République, poursuit des blogs dits "nauséabonds" devant la XVII ème chambre correctionnelle de Paris (celle-là même qui a débouté les plaignants contre Charlie hebdo !)
Qui veut faire l'ange fait la bête, qui veut être Charlie fait Charlot.
La défense et l'illustration de la liberté, de l'égalité, de la fraternité et ajoutons de la laïcité méritent certes des rassemblements et des défilés spectaculaires de citoyens et même de chefs d'Etat européens ... à condition de n'être pas le show final et populaire d'un drame mais une mobilisation durable, nationale et européenne, pour un combat discret, austère, persévérant mais sans gloire ni reconnaissance publique, celui quotidien de la pratique scrupuleuse du contrat social et républicain qui unit Charlie, Frédéric, Ahmed et Yohav et qui nous défend tous contre les sectarismes, les fanatismes autant qu'il nous préserve des égoïsmes et des communautarismes.
Une nation, un peuple, une démocratie ont besoin de symboles, de devises, de rites, de "journées historiques" surtout dans l'épreuve, face aux agressions extérieures ou aux tourments internes. Mais maintenant, après les défilés d'exorcisme, de deuil et de réconcilaition, au-delà des "carnavals de la parole" (dixit Jacques Julliard), maintenant qu'est-ce qu'on fait? C'est le grand défi lancé à l'Etat et à ses élus responsables, c'est aussi le défi auquel nous aurons tous à faire face.
Sans prétendre y répondre ici, posons simplement la question en reprenant la conclusion de deux intellectuels dans le Monde de ce dimanche qui ne doit pas être pas seulement un jour de marche oecuménique : "les évènements du 7 janvier nous rappellent que la démocratie n'est pas seulement un régime politique, c'est un défi, une lutte, un bien public qui doit être défendu. non pas contre des ennemis fantasmés mais contre nos propres faiblesses, nos propres limites, notre résignation... Réagissons et organisons-nous."
Réagissons tous les jours pour pouvoir dire "je suis, nous sommes" et non pas "je suis, nous suivons"
"je suis Pugnace"