Monsieur le Préfet
Bon nombre de citoyens de Saint-Cyprien se demandent depuis des années si leur commune fait encore partie de la République Française ou si ses lois n’y ont plus cours.
Certes l’opération de police judiciaire menée en 2008-2009 a pu faire illusion à chaud mais ni son étrange ampleur médiatique ni surtout sa fin dramatique n’ont apporté la clarification attendue d’un débat judiciaire sans cesse décalé ni la remise en ordre démocratique promise et aussitôt confisquée.
Certes les élections sont repassées par là, confirmant que le choix des urnes a des raisons que la raison démocratique ne connaît pas, mais elles n’ont pas modifié les comportements personnels ni rectifié la gestion : ce n’est pas la vocation des élections, mais celle des services de contrôle. C’est pourquoi, au nom de ces derniers citoyens qui espèrent malgré tout en notre République, je vous adresse ces interrogations, y compris par la voie publique car elles concernent chacun, à qui évidemment je ferai part par la même voie de votre réponse éventuelle. La dernière « initiative » du maire de Saint-Cyprien, destinée à afficher son retour sur la scène locale et ses prétentions ultra-communales, est en effet de nature à interpeller le représentant de l’Etat dans ce département.
« Un référendum sur la fusion des régions » à Saint-Cyprien : l’insignifiance de la procédure et la prétention de son promoteur peuvent-elles simplement prêter à sourire, par indifférence, ironie ou pire sentiment à l’égard d’une dérisoire manœuvre d’auto-promotion ? Non : à cette question ainsi posée à quelques 9 000 électeurs de Saint-Cyprien par un des 36 700 maires de France pour contrer la réforme territoriale soumise par le Président de la République au Parlement national, la réponse ne peut pas être passive. Pour diverses raisons.
Il est superflu évidemment de souligner l’incongruité juridique d’un prétendu référendum local sur un sujet national, la faisabilité en est formellement exclue de notre système institutionnel. Son promoteur, simplement soucieux de l’impact publicitaire, s’est du reste bien gardé d’en évoquer l’idée en « son » conseil et rien, hors de son ego, ne lui confère ce pouvoir plébiscitaire. La démarche est strictement personnelle, annoncée lors d’un pique-nique dominical entre amis, sans aucun fondement de droit et sans autre justification que les interrogations individuelles de « Monsieur Thierry Del Poso » (c’est ainsi qu’il signe) sur la perte pour le port de Saint-Cyprien de dotations financières … dont à ce jour il n’a rien perçu.
Au delà de cet aspect de procédure, qui illustre magistralement la facilité coutumière à se mouvoir dans le non-droit local, le représentant de l’Etat ne saurait manquer d’apprécier l’impact plus que politique, gravement déviant, de cette caricature de démocratie populaire. Faut-il ainsi ajouter au discrédit des institutions, des hommes politiques, de la démocratie elle-même, dont l’abstention et le vote extrémiste traduisent l’inquiétante progression, en faisant joujou avec l’acte le plus fort de la vie démocratique qu’est le référendum ? Et peut-on laisser croire au bon peuple que « Monsieur Thierry Del Poso », en le consultant, supplée aux carences du Président de la République, lui qui, en tant que maire bafoue constamment la démocratie et qui, exemple accablant, s’est bien gardé de consulter ses électeurs sur la réforme territoriale de leur intercommunalité et a même refusé de soumettre le débat sur Sud-Roussillon à « son » conseil municipal ?
A ces questions fondamentales qui touchent au cœur de nos institutions s’ajoutent bien des questions pratiques et qui ne sont pas mineures dans cette commune dont à la fois les finances et la transparence sont malmenées depuis des années :
- L’organisation d’une pseudo consultation électorale, qui engage entre autres des frais d’impression et des charges pour le personnel municipal, relève-t-elle du budget communal, bien que non conforme au code et non décidée par le conseil municipal ?
- Quelle peut être la crédibilité d’un scrutin ainsi organisé, comme dans une quelconque démocrature africaine, sur deux jours, sans débat, sans préparation, sans contrôle, à la seule convenance du promoteur et, c’est l’objectif, pour sa plus grande gloire ?
Voilà, en résumé, les questions que suscite ici une telle action de communication érigée en faux démocratique. La réponse ne peut se borner au classique renvoi à l’extrait de l’article 72 de la Constitution sur la libre administration des collectivités locales laquelle, rappelons-le, ne se conçoit que « dans les conditions prévues par la loi » , « par des conseils élus » et «pour l'exercice de leurs compétences » … sauf si, pour rester dans ce cadre constitutionnel, il s’avérait qu’en l’espèce Saint-Cyprien ait été autorisé à « déroger, à titre expérimental … aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de (ses) compétences ».
Du « représentant de l'État, (en) charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois » nous attendons de savoir si, oui ou non, il envisage de ramener le maire de Saint-Cyprien au strict respect de ses compétences et de ses obligations. A défaut nous apprécierions de connaître le sens, l’utilité et la légalité cachés de ce simulacre de consultation populaire.
Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, ma considération distinguée
Jean JOUANDET