Résumé du précédent épisode: généralités sur la séparation des ordonnateurs et des comptables
et distinction entre l'appréciation d'opportunité (qui n'appartient qu'aux 1ers) et la vérification de régularité (qui incombe aux seconds)
Les comptables publics (et je parle ici du receveur communal et du TPG) ont 3 caractéristiques communes:
- 1 - ils sont indépendants. Non seulement ils sont séparés comme j'ai dit hier et ils ont des fonctions distinctes et complémentaires, ils sont indépendants des ordonnateurs. Le receveur communal est indépendant du maire comme le TPG du préfet. Ce qui veut dire que le maire ne nomme pas, ne note pas le receveur, ne lui donne pas d'instructions, ne peut pas le licencier (même avec une grosse indemnité de départ). Même chose pour le TPG qui ne dépend que du Ministre du Budget et ne reçoit d'instructions du Préfet que sur quelques attributions (par exemple en matière de Défense Nationale) qui ne touchent pas au fond des affaires financières.
- 2 - les comptables sont un peu simplistes, ils disent oui ou non à l'ordonnateur, et ils doivent le faire et c'est tout ce qu'ils peuvent faire. Ils ont à exécuter les décisions financières des ordonnateurs quand elles sont correctes ce qui veut dire qu'ils peuvent (doivent même) refuser de le faire quand elles ne sont pas correctes. Et ils doivent les exécuter quand il n'y a rien à dire. Cela signifie 2 choses très importantes:
Le comptable ne peut pas les corriger (ni les décisions ... ni les ordonnateurs). Il peut soit viser (il valide) soit rejeter (il renvoie à l'ordonnateur la décision qu'il n'approuve pas). Le comptable dit oui ou non. Il accepte ou refuse de payer, il n'annule pas, il ne modifie pas la décision qui est et reste de la compétence de l'ordonnateur. Il peut conseiller, suggérer une autre décision, une autre procédure mais si on ne l'écoute pas ... seul le juge administratif peut annuler ... si le Préfet ou un contribuable le saisit. On verra plus tard les rapports sur ce sujet entre le comptable et le Préfet .
En contrepartie le comptable doit exécuter les décisions correctes, c'est évident, et l'ordonnateur (le maire) peut même le contraindre à le faire. En prenant un acte de "réquisition": le maire peut ordonner au comptable de payer, il doit motiver sa réquisition mais le comptable ne peut plus discuter, il doit payer quoi qu'il en pense. Bien sûr on fait des dossiers pour que le ministre et les juges des comptes apprécient la validité du refus de payer puis de la réquisition. Mais ces réquisitions sont rares car en forçant la main du comptable, l'ordonnateur se substitue à lui ce qui veut dire qu'il devient "responsable" (et là l'ordonnateur est moins flambard, il hésite à prendre la responsabilité car elle n'est pas mince). C'est la clé du système:
- 3 - le comptable est responsable. Et il n'est pas responsable "sur le papier", devant sa conscience ou devant un comité quelconque. Il ne risque pas seulement de se faire remonter les bretelles s'il s'est trompé. Il est responsable devant un juge, la Cour des Comptes pour le TPG, et la Chambre Régionale des Comptes pour le receveur municipal.
Et il n'est pas nécessaire qu'il y ait une plainte de quelqu'un ou un préjudice subi par quelqu'un : ces juges examinent systématiquement tous les ans tous les comptes des comptables et leur donnent, ou pas, ce qu'on appelle le quitus. C'est-à-dire que le juge dit: OK c'est bien ou non, le comptable n'a pas bien travaillé.
Et ce n'est pas pour simplement le gronder: le comptable est responsable financièrement ce qui signifie qu'il est condamné à payer une somme qui peut être très importante car fixée par le juge selon l'importance de sa "négligence". Il n'est pas nécessaire qu'il ait commis une faute, il suffit au juge qu'il ait un peu "négligé" de faire tout ce qu'il pouvait faire. Le juge se contente de constater qu'il n'a pas fait "toutes les diligences" possibles. Et, tenez-vous bien, même si c'est l'un de ses agents qui a été défaillant, c'est le patron qui paye, le receveur ou le TPG.
Et accrochez-vous, on n'y échappe pas en prenant sa retraite ni même en se suicidant : la "responsabilité" menace le comptable tant qu'il n'a pas eu son "quitus", le juge peut s'occuper de lui 4 ans encore après sa mise en retraite (en 2009 la Cour des Comptes me fait reproche de n'avoir pas assez fait travailler le comptable local qui était chargé de recouvrer les amendes de stationnement et de circulation pour plus de 200 000 €). Et, lisez le 2 fois si vous n'y croyez pas, le juge peut, après sa mort, réclamer à la veuve ou aux enfants le règlement de l'amende (ce n'est pas théorique, j'ai vu le cas dans ce département pour un comptable décédé).
Autant dire que le comptable a intérêt à faire gaffe. Outre sa conscience morale, on dit pompeusement son "éthique", le portefeuille garantit sa conscience professionnelle. D'ailleurs cette responsabilité sans faute fonctionne au jour le jour, même sans attendre le jugement des comptes. Chaque fois que le caissier de la trésorerie générale commettait une erreur (faux billet, fausse pièce, mauvais rendu de monnaie, perte d'une planche de timbres fiscaux etc, etc) j'ai du payer de ma poche la différence, le déficit du compte journalier. Alors évidemment on peut faire de la démagogie et proclamer que le TPG est le fonctionnaire le mieux payé: c'est le seul qui a à rendre des comptes, qui peut être condamné à payer pour les erreurs des autres. Quand j'écris TPG, c'est vrai pour tous les comptables publics. Mais cela ne vaut pas pour les ordonnateurs qui ne sont responsables que devant les électeurs ou le juge d'instruction, on sait ce que ça donne.
Alors, vous pensez bien que nos comptables, aussi bien le municipal que le départemental, sont "attentifs" à ce que font les ordonnateurs, maires notamment.
Bien sûr, à l'impossible nul n'est tenu et nul n'est parfait. Les comptables peuvent commettre des oublis, des négligences, ils ne peuvent pas garantir la perfection de la gestion communale, ce sont des sentinelles que l'on peut aussi contourner ou abuser.
On fait une pause-café
et on précise tout ça au prochain N°
Jean JOUANDET, trésorier-payeur général honoraire et néanmoins pugnace.