En ce mitan de l'année et du mandat présidentiel, le constat est angoissant: l'Etat fout le camp. Les hommes, les services, l'autorité.
Les hommes de l'Etat décampent, ne les qualifions pas d'hommes d'Etat: ils fuient l'Etat.
l'écharpe de maire de Dijon à son maroquin. Celui de la Défense brigue la présidence du Conseil régional de Bretagne. Et, désertion hautement symbolique, le président de l'Assemblée nationale "ambitionne" celle de la région parisienne: lCar pour ces élus nationaux
c'est sous la tente d'un fief territorial que leur charge nationale à responsabilité et à risque. Les voilà donc qui, après avoir gravi les degrés du pouvoir, du niveau local jusqu'au sommet de leur ambition, les voilà qui retournent au pays, honorés et titrés, comme des émigrants fortune faite, désireux de retrouver, parmi leurs proches, la sérénité du terroir et de s'y ancrer forts de leur notoriété, de leur carnet d'adresses et de leur expérience supérieure.
C'est la magie politique de la décentralisation, la magie de l'aller-retour glorieux. A l'aller, le pouvoir local est un marche-pied solide, parfois un tremplin puissant, qui propulse de la commune au département ou à la région, puis au gotha de l'Etat, le Parlement et même pour les plus habiles le nec plus ultra ministériel. Mais la décentralisation c'est aussi en retour le hâvre, prestigieux et sécurisant, en forme de donjon robuste et rayonnant sur son fief, où le chef grisonnant et lassé vient savourer les fruits de sa carrière tout en exerçant un magistère respecté et puissant, ce qui du reste ne veut pas dire inefficace. Ce faisant la décentralisation sape l'Etat, en aspirant ses cadres politiques, y compris des 1ers Ministres de qualité comme naguère Raymond Barre à Lyon ou actuellement Alain Juppé à Bordeaux. De même que, dans sa croissance effrénée (sans frein ni contre-pouvoir), elle sape par la montée des féodalités et par l'effacement du contrôle de légalité l'universalité de la loi républicaine nationale.
Simultanément les services de l'Etat, déjà amaigris et affaiblis, vont être emportés, écartelés, déboussolés, dans le suivisme territorial. On dissèque laborieusement les services régionaux de l'Etat et on se décarcasse pour les répartir entre les ex capitales régionales (ici Toulouse et Montpellier) de façon à ménager les sensibilités des élus et la tranquillité des fonctionnaires. N'aurait-il pas fallu d'abord s'interroger sur la nécessité de ce double déménagement? Qui dit décentralisation dit découplage de l'Etat et des collectivités: c'est la fonctionnalité spécifique de chacun, et elle seule, qui doit inspirer leur organisation. La question clé est donc : à quel niveau, dans quel cadre, l'Etat est-il le mieux placé pour exercer efficacement ses responsabilités?
Réponse d'évidence: la répartition des missions entre l'Etat (fonctions régaliennes) et les régions (fonctions économiques essentiellement) n'impose pas que l'Etat se calque, plus ou moins totalement, sur le périmètre régional.
Les impulsions de développement économique ont des chances de gagner dans ce regroupement régional un effet de masse porteur de dynamisme accru. En revanche les structures étatiques d'unité nationale, de solidarité, d'homogénéité politique et sociale ne sont pas soumises au même impératif de dimension: les fonctions de cohésion justifient au contraire la préservation d'une réelle proximité de l'Etat, donc d'un réseau de services plus resserré et d'une circonscription interdépartementale inchangée. La confusion des structures (Etat // région), fut-elle bricolée pour sauvegarder des intérêts politiques ou apaiser les syndicats, relève encore d'une option unificatrice, contraire à l'objectif de briser les carcans hérités de l'histoire. La disparition (depuis 1982) de la tutelle de l'Etat sur les collectivités territoriales aurait dû conduire logiquement à dissocier leurs géographies. Il n'est pas nécessaire, il n'est même pas sain, que l'organisation de l'Etat soit calquée sur celle des régions agrandies. Le maintien d'un contrôle de légalité, qui est le ciment de l'unité nationale dans le respect de la loi commune
On approche du dernier stade de la désétatisation: celui où les élus nationaux (donc l'Etat) ne misent que sur la décentralisation, qu'ils érigent en démocratie idéale (la proximité devant garantir l'efficacité de gestion et la transparence ... on sait ici ce qu'il en est !), démocratie idéale pour eux car ils se l'approprient et la personnalisent à leur guise, tout en accusant l'Etat de tous les faiblesses. Lequel Etat semble désormais remettre aux élus locaux la gestion du terrain et des citoyens se réservant seulement celle de l'urgence, de l'exceptionnel et des drames. La décentralisation ainsi sacralisée et personnaliée transforme peu à peu les préfectures de l'Etat en
La décentralisation détricote l'Etat, en aspirant les hommes, en féodalisant la gestion administrative, en distanciant son pouvoir personnel de l'autorité nationale, de la loi et de la démocratie. Erigée en idéal de super-démocratie nationale par ses élus, elle tend à dégénérer en post-démocratie, démocratie de façade abritant une nouvelle autocratie territoriale. Trop d'Etat, c'est vrai, étouffait l'Etat mais insufisamment d'Etat ne recrée pas la démocratie et trop de décentralisation les menace tous deux.
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Le commentaire de Psittacus
Bien sûr, bien sûr " trop d'impôts tue l'impôt", "trop de communication tue la communication" et on le craint à juste titre "trop de décentralisation tue la décentralisation"
mais - faut-il s'en réjouir pour l'équilibre bio-éthique de notre planète? - "trop de conneries ne tue pas les cons"
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