Lettre de Jean-Claude Montès, conseiller municipal,
à Monsieur Thierry Del Poso, maire de Saint-Cyprien
Monsieur le Maire,
Vous avez cru bon de faire installer d’autorité une crèche dans le hall de la mairie, notre « maison commune », sans même avoir consulté le Conseil Municipal. En revendiquant cette installation dans vos tapageuses et nombreuses communications, vous impliquez forcément l’ensemble des élus et de la population cyprianaise et les englobez dans une trompeuse unanimité. Vous ne serez donc pas surpris de trouver dans cette lettre ouverte les propos dissonants d’un élu que vous ne manquerez pas de disqualifier, ne serait-ce qu’en le renvoyant à son état d’ « opposant minoritaire ».
Je pourrais, compte tenu de mes convictions républicaines et philosophiques, me draper dans l’étendard de la Laïcité ; mais les mots finissent par s’user et se perdent dans des emplois dont le sens est constamment revisité par des intentions partisanes.
Je pourrais tout autant vous rappeler les « fondamentaux laïques » de notre contrat social ; mais cela ne servirait de rien à qui a décidé de passer outre au code de « bonne conduite laïque » élaboré et porté par l’Association des Maires de France.
Je me contenterai donc de vous dire simplement ma colère et de vous en exposer les raisons.
Je vous reproche d’imposer, avec inconséquence et à grand bruit, une représentation religieuse au sein d’un espace destiné à tout public, espace dont vous n’êtes que le locataire provisoire et décidément clanique. Et cela, en des temps barbares où la noblesse de votre fonction et la qualité dite « républicaine » de votre engagement politique auraient dû vous conduire à plus de circonspection et rechercher, sur ce sujet comme sur d’autres d’ailleurs, l’unité dans la commune ; au lieu de cela, vous la fracturez davantage encore !
Certes, pour garnir vos filets, vous faites appel au souvenir de M. Jean Olibo en vous référant à un passé local prestigieux mais déjà bien lointain. Ignorez-vous que le monde n’est pas figé, qu’il change et que les populations d’aujourd’hui, plus diverses, ont d’autres aspirations et préoccupations ? Que ces populations, devenues multiples, sont à la recherche d’affirmations identitaires certes, mais que c’est à la République de leur apporter les pré-requis culturels pour faciliter leur intégration ? Que c’est à elle de fixer, dans la sphère publique, les limites de ces manifestations identitaires, sans exclusive ni faiblesse, avec grande fermeté si nécessaire, et dans le respect des principes constitutionnels? Votre comportement d’agitateur partisan n’y aide pas.
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de dénigrer ici la « crèche» en tant qu’ « objet patrimonial » comme vous la présentez. C’est un fait qu’elle reste pour une partie d’entre nous une représentation sympathique et touchante car porteuse de souvenirs d’enfance et forcément de nostalgies ! Mais l’installation de cette crèche fait suite à votre déclaration de « remettre l’Église au centre du village » et la complète. Vous n’avez donc pas effectué un simple faux-pas ! Bien au contraire, vous instrumentalisez sciemment la religion sous couvert d’en défendre l’apport traditionnel ; votre prétendu combat pour les valeurs patrimoniales surfe opportunément sur l’air du temps et laisse deviner un tout autre objet.
Les citoyens catholiques pourraient d’ailleurs s’offusquer de voir leur foi réduite à un « folklore culturel » ; la crèche devient même par l’effet de votre Verbe politique le « symbole autour duquel on doit se rassembler » ! Ne serait-il pas préférable que tous les nostalgiques du passé – vous aussi peut-être ?- reprennent le chemin de l’église désertée, et retrouvent ainsi, dans le recueillement et à leur vraie place, les manifestations imagées de leur foi et les ressources spirituelles pour résister aux tentations du moment ? Car s’il est vrai que la religion est un vecteur qui permet souvent d'exprimer une spiritualité apaisée, ce vecteur peut aussi véhiculer des exclusives fanatiques.
Pris en otage au nom de la « tradition », les catholiques sincères devraient également craindre que votre initiative, démagogique et provocatrice, ne les remette au centre d’un combat que la République a déjà tranché et qui n’est plus le leur ; en les instrumentalisant, vous les exposez inutilement pour que d’autres, plus nombreux et de sincérité douteuse, vous suivent dans une croisade moins noble qui, encore une fois, n’est pas la leur. Quant aux non-croyants ou croyants des autres religions, ils ne pourront que constater, par vos déclarations et la mise en scène que vous nous imposez, que la République n’est pas la réponse impartiale, juste et protectrice qu’elle doit être.
Vous remarquerez sans doute, Monsieur le Maire, que j’ai évité tous les mots flamboyants tels que Liberté, Égalité, Fraternité, Laïcité, Démocratie, Respect et Exemplarité, Droiture et Honnêteté,… Ces mots sont pourtant beaux et devraient vous être familiers : ils sont républicains. N’est-ce pas le rôle des « politiques » que d’incarner ces valeurs et de mettre tout en œuvre pour qu’elles diffusent ? S’ils étaient incarnés, ces mots seraient en mesure de rassembler autour d’un idéal, celui du vivre-ensemble. Et, pour éviter tout ricanement sceptique, j’ajoute que poser des limites, c’est la condition même du vivre-ensemble.
Ce sera donc là ma conclusion: votre attitude divise au lieu d’unir et tourne le dos au pacte républicain. Elle n’est pas en mesure de faire partager ce désir de République qui est pourtant la seule voie d’un avenir possible entre ceux qui croient en des cieux différents et tous ceux qui n’y croient pas.
Élu de la République, vous avez mieux à faire qu’à flatter les ressentis et les penchants du moment en masquant vos intentions derrière des faits qui attisent et des mots qui excitent. Localement démagogiques, vos actes sont porteurs au plan national de troubles et de risques pour cette République dont tous nous nous réclamons.
En tant que conseiller municipal et en tant que citoyen, je souhaite donc publiquement me démarquer de vous comme je l’ai fait en séance, en même temps que je souhaite marquer mon adhésion aux valeurs de la République et ma confiance en elle pour apporter les réponses de paix sociale dont nous avons tous besoin.
Car des réponses sont effectivement indispensables, mais ce ne sont pas les vôtres.